Pascal PRAGNÈRE, Chercheur à UCD, Dublin et EHESS, prépare actuellement De Belfast à Bilbao. Peintures murales politiques en Irlande du Nord et au Pays Basque. À paraitre prochainement.
Contrairement aux graffiti, on ne trouve pas de peintures murales politiques partout. Mais pourquoi cette forme élaborée et artistique dexpression politique se trouve-t-elle en abondance sur les murs du Pays Basque ? Est-ce une spécificité basque ?
On trouve des peintures murales politiques en divers endroits du globe, mais les plus connues se trouvent en Irlande du Nord. Il en existe d’autres concentrations importantes en Sardaigne, en Uruguay, en Amérique latine et aux USA. Il convient de noter que les lieux où elles sont particulièrement denses sont des lieux de conflits politiques.
La nature du conflit au Pays Basque expliquerait-elle cette densité? En effet, le contexte politique du conflit en Euskadi est éclairant : la revendication nationaliste d’indépendance ou d’autonomie accrue est une revendication politique. La violence exercée par ETA ou son environnement était une violence à motivation politique. Opposés au développement de ces revendications, les états espagnol et français refusèrent de considérer le conflit comme un problème politique, et adoptèrent une stratégie de criminalisation. A cela s’ajoutèrent des mesures répressives comme l’interdiction de partis politiques, de journaux indépendantistes ou l’emprisonnement de militants indépendantistes bénéficiant d’une aura médiatique. Les états continuent encore de nier le caractère politique du conflit.
C’est dans ce contexte qu’interviennent les fonctions politiques des peintures murales. Tout d’abord, les murales nécessitent une grande visibilité. Ainsi, contrairement aux tags, elles se situent sur des lieux très visibles (frontons, digues, barrages), le long d’artères fréquentées, et en particulier dans les centres historiques.
Leurs fonctions politiques sont multiples : elles contribuent à délimiter un territoire et à montrer que certains lieux sont sous domination nationaliste ou indépendantiste. Cet enjeu est encore plus important dans les centres historiques car elles expriment alors aussi la domination sur l’histoire, le contrôle symbolique du passé et des racines. Ensuite, en portant un message politique dans l’espace public, elles tentent de contrer de discours dominant et la censure dont a fait l’objet la revendication indépendantiste en raison des interdictions de partis et de journaux.
Elles constituent donc une forme de contre-information qui rappelle aux habitants et aux touristes qu’un conflit politique existe et que l’ignorer serait donner raisons aux états espagnol et français. Ainsi, ces expressions artistiques contribuent à lutter contre la criminalisation du mouvement indépendantiste basque en politisant l’espace public. C’est un enjeu majeur qui permet de résister en maintenant un certain niveau de mobilisation et de conscience collective. Il est n’est donc pas étonnant que ces peintures soient immédiatement effacées lorsqu’elles sont effectuées dans des municipalités qui ne sont pas favorables à leur cause et qui n’accordent pas de sanctuaires aux nationalistes. D’ailleurs, les peintres s’exposent à de lourdes peines qui peuvent être qualifiées de complicité ou d’apologie du terrorisme. Certains expliquent que peindre fut une sorte de rituel initiatique pour se faire accepter au sein de l’ETA1. Leur complexité et leur qualité artistique leur donnent également un pouvoir visuel, un pouvoir de conviction supérieur à celui des graffiti ordinaires.
Enfin, les thèmes abordés ou les techniques utilisées les font entrer en résonnance avec d’autres conflits dont certains enjeux sont proches : les références à l’Irlande du Nord ou à la Palestine sont fréquentes. Ces références permettent de donner une autre dimension à la revendication nationaliste : d’abord locale, la revendication de l’indépendance ou du droit des peuples à disposer d’eux mêmes, acquiert par cette internationalisation une dimension universelle. Les peintures murales contribuent donc à démontrer que la lutte pour la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple basque a une valeur universelle. Cette valeur universelle s’exprime d’ailleurs par la circulation des peintures : on trouve ainsi des peintures murales basques en Irlande du Nord ou en Palestine.
Ces peintures murales, si elles constituent un outil politique pour les nationalistes, appartiennent aussi à un patrimoine historique, politique et culturel qui mérite d’être sauvegardé. Certaines municipalités l’ont compris et tolèrent ou protègent des peintures déjà anciennes. En ces temps de processus de paix, ce patrimoine mériterait d’être valorisé et protégé. En Irlande du Nord, les peintures murales sont désormais une attraction touristique, et des « tours politiques » peuvent même être effectués avec un guide bascophone.
1MacClancy, Jeremy. 2007. Expressing Identities in the Basque Arena. Oxford, Santa Fe, New Mexico: James Currey; School for Advanced Research Press.
Opinion des lecteurs:
comments powered by DisqusDans Euskonews nous avons besoin de votre avis. Envoyez-le nous!
Voulez vous collaborer à Euskonews?
Arbaso Elkarteak Eusko Ikaskuntzari 2005eko Artetsu sarietako bat eman dio Euskonewseko Artisautza atalarengatik
On line komunikabide onenari Buber Saria 2003. Euskonews
Astekari elektronikoari Merezimenduzko Saria